Titre : |
Migrations saisonnières et changement climatique en milieu rural sénégalais : Forme ou échec de l’adaptation ? |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Valérie Delaunay, Auteur ; Richard Lalou, Auteur |
Importance : |
p 287-313 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
|
Mots-clés : |
MIGRATION SAISONNIERE CHANGEMENT CLIMATIQUE MILIEU RURAL SENEGAL |
Résumé : |
Les déplacements humains comme conséquence des changements de l’environnement et du climat ne sont pas un phénomène nouveau. Pendant des siècles, les populations ont migré, souvent de façon saisonnière, suite aux modifications de leur environnement. Il s’agit même d’un principe de vie pour les populations nomades et pastorales, toujours
en quête de nouvelles ressources. Cependant, la question des relations entre les migrations et l’environnement n’a investi le débat scientifique que très récent, une première fois dans les années 1980, à l’occasion de la crise écologique majeure que furent les grandes sécheresses du Sahel et, une seconde fois, avec l’émergence
du paradigme du changement climatique, dans les années 1990. Cette réflexion se globalise au début des années 1990, quand la communauté internationale commence à reconnaître le défi mondial qu’est le changement climatique, ainsi que ses liens et ses impacts sur la mobilité humaine. À cette occasion, le débat se polarise entre deux visions théoriques de la migration environnementale. La
première approche, qui tend à dominer le débat, repose sur les théories conventionnelles de « répulsion/attraction » (push-pull theories). Les changements environnementaux dans les pays pauvres résultent d’une pression démographique sur les ressources naturelles, supérieure à la capacité de charge du territoire, provoquant en retour l’exode des populations. D’inspiration néo-malthusienne, cette approche
propose donc une explication « naturalisante », mécanique et totalisante, où la migration est le résultat d’une croissance de la population qui dépasse les limites des ressources naturelles. La migration environnementale est ainsi une fuite face à une
menace urgente – un abandon du milieu d’origine devenu inhospitalier –, un échec de l’auto-adaptation des individus et des systèmes. Pour ce courant de pensée, il s’agit par conséquent d’un déplacement forcé, commandé par le facteur environnemental. À ce titre, certains travaux sur les pays les plus pauvres décrivent la migration rurale-urbaine comme la réponse définitive aux difficultés des ménages ruraux qui ne parviennent à s’adapter ni à la pression foncière, ni au
désengagement de l’État dans les filières agricoles, ni
à la dégradation de l’environnement. Même si les migrations des ruraux surviennent plus souvent quand les pluies annuelles sont insuffisantes et que la sécurité alimentaire des ménages n’est plus assurée, elles répondent aussi à une stratégie collective, définie au niveau de l’exploitation agricole. Ces analyses considèrent que les relations entre les changements environnementaux et les migrations sont dynamiques et complexes, et qu’elles relèvent de facteurs contextuels (macro), mais aussi qu’elles répondent aussi de facteurs à l’échelle des individus (micro) et des exploitations agricoles (méso). En ce sens, les migrations environnementales constituent, comme
toute autre migration, un phénomène construit et un choix concurrent à
bien d’autres options d’adaptation. La migration, qu’elle soit une stratégie de survie ou une opportunité pour améliorer les conditions de vie, n’est pas synonyme de rupture ou d’abandon du territoire d’origine, même quand elle est motivée par des causes environnementales. La migration des campagnes vers les villes est observée en tout lieu en relation avec le milieu de départ. En Afrique de l’Ouest, les études montrent que les mouvements de population sont le fait de migrations de travail temporaires et/ou circulaires. Les migrants entretiennent le lien avec leur village d’origine et participent à la sécurité alimentaire et, parfois, au développement d’activités agricoles ou extra-agricoles de leur communauté. L’évaluation de la migration en termes de réussite ou d’échec est une démarche complexe qui réclame de prendre en compte à la fois le projet qui a motivé le déplacement, l’expérience migratoire de la personne et les contextes qui ont prévalu au départ et au retour du migrant. En outre, elle est dynamique, dans la mesure où le projet d’un migrant se reconstruit sans cesse au rythme des déconvenues et des succès qu’il rencontre sur son parcours. Pourtant, de la même façon que les théories économiques néoclassiques affirment que tout retour de migration traduit l’incapacité du migrant à maximiser ses revenus attendus dans
son lieu de destination, les tenants d’une « approche maximaliste » de la théorie des facteurs répulsion/attraction considèrent que les
départs en migration pour des raisons environnementales expriment très souvent un échec de l’adaptation de l’individu et du groupe au changement de leur environnement naturel d’origine. D’ailleurs, ils
utiliseront volontiers le terme de « réfugié » qui ne répond pas à une stratégie d’adaptation. La migration saisonnière, bien que résultant en partie de causes environnementales, peut s’analyser exclusivement en termes d’échec. Les nombreuses études menées sur cette question en Afrique ont montré que cette forme de mobilité répond souvent à une logique collective, dont la finalité est de maintenir l’exploitation
agricole, malgré les contraintes auxquelles elle fait face, et de lui donner les moyens techniques et financiers de se développer davantage.
Le site d’observation de Niakhar au Sénégal fournit une possibilité intéressante d’interroger sur un temps long la relation entre les migrations internes et les changements environnementaux et climatiques à évolution lente (à l’exclusion des désastres naturels soudains). Des observations y sont menées depuis plus de cinquante ans, qui fournissent des informations sur l’évolution des migrations, leur
intensité, leurs formes et leurs causes. L’observatoire de population procède aussi depuis 1982 au relevé des quantités de précipitations journalières et documente depuis une dizaine d’années, grâce à plusieurs enquêtes, les performances agricoles et la sécurité alimentaire des exploitations agricoles. D’un point de vue économique, le territoire de Niakhar, constitué de 30 villages, est dominé par une agriculture pluviale à base de mil et d’arachide. Après une longue
période sèche, qui a duré près de trois décennies (1970-1999), on assiste depuis le début des années 2000 à une remontée des cumuls pluviométriques, avec en particulier une amélioration entre août et la mi-septembre. Dans le même temps, on constate que les trajectoires des exploitations agricoles se sont diversifiées et que leurs performances se sont davantage contrastées. Au regard donc de ce nouveau contexte, le propos de ce chapitre est de voir, dans un premier temps,
si les migrations circulaires de travail sont sensibles aux évolutions pluviométriques récentes et à leur forte variabilité. On propose ensuite d’évaluer l’impact de ces migrations sur l’autosuffisance céréalière des ménages, surtout durant les années de mauvaises récoltes. Enfin, si la migration saisonnière s’avère une réponse
aux aléas climatiques, on tente de montrer que les exploitations agricoles n’utilisent pas toutes ce levier d’ajustement. Au total, le recours massif à la migration saisonnière de travail peut donc être fonction de la survenue d’années sèches et de la trop grande vulnérabilité de certaines exploitations agricoles pour faire face à la crise alimentaire qui s’en est suivie. |
Numéro du document : |
PMB environnement/99 |
Niveau Bibliographique : |
2 |
Bull1 (Theme principale) : |
CONSERVATION DE LA NATURE |
Bull2 (Theme secondaire) : |
CONSERVATION DE LA NATURE-CONSIDERATION GENERALE |
Migrations saisonnières et changement climatique en milieu rural sénégalais : Forme ou échec de l’adaptation ? [texte imprimé] / Valérie Delaunay, Auteur ; Richard Lalou, Auteur . - [s.d.] . - p 287-313. Langues : Français ( fre)
Catégories : |
SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
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Mots-clés : |
MIGRATION SAISONNIERE CHANGEMENT CLIMATIQUE MILIEU RURAL SENEGAL |
Résumé : |
Les déplacements humains comme conséquence des changements de l’environnement et du climat ne sont pas un phénomène nouveau. Pendant des siècles, les populations ont migré, souvent de façon saisonnière, suite aux modifications de leur environnement. Il s’agit même d’un principe de vie pour les populations nomades et pastorales, toujours
en quête de nouvelles ressources. Cependant, la question des relations entre les migrations et l’environnement n’a investi le débat scientifique que très récent, une première fois dans les années 1980, à l’occasion de la crise écologique majeure que furent les grandes sécheresses du Sahel et, une seconde fois, avec l’émergence
du paradigme du changement climatique, dans les années 1990. Cette réflexion se globalise au début des années 1990, quand la communauté internationale commence à reconnaître le défi mondial qu’est le changement climatique, ainsi que ses liens et ses impacts sur la mobilité humaine. À cette occasion, le débat se polarise entre deux visions théoriques de la migration environnementale. La
première approche, qui tend à dominer le débat, repose sur les théories conventionnelles de « répulsion/attraction » (push-pull theories). Les changements environnementaux dans les pays pauvres résultent d’une pression démographique sur les ressources naturelles, supérieure à la capacité de charge du territoire, provoquant en retour l’exode des populations. D’inspiration néo-malthusienne, cette approche
propose donc une explication « naturalisante », mécanique et totalisante, où la migration est le résultat d’une croissance de la population qui dépasse les limites des ressources naturelles. La migration environnementale est ainsi une fuite face à une
menace urgente – un abandon du milieu d’origine devenu inhospitalier –, un échec de l’auto-adaptation des individus et des systèmes. Pour ce courant de pensée, il s’agit par conséquent d’un déplacement forcé, commandé par le facteur environnemental. À ce titre, certains travaux sur les pays les plus pauvres décrivent la migration rurale-urbaine comme la réponse définitive aux difficultés des ménages ruraux qui ne parviennent à s’adapter ni à la pression foncière, ni au
désengagement de l’État dans les filières agricoles, ni
à la dégradation de l’environnement. Même si les migrations des ruraux surviennent plus souvent quand les pluies annuelles sont insuffisantes et que la sécurité alimentaire des ménages n’est plus assurée, elles répondent aussi à une stratégie collective, définie au niveau de l’exploitation agricole. Ces analyses considèrent que les relations entre les changements environnementaux et les migrations sont dynamiques et complexes, et qu’elles relèvent de facteurs contextuels (macro), mais aussi qu’elles répondent aussi de facteurs à l’échelle des individus (micro) et des exploitations agricoles (méso). En ce sens, les migrations environnementales constituent, comme
toute autre migration, un phénomène construit et un choix concurrent à
bien d’autres options d’adaptation. La migration, qu’elle soit une stratégie de survie ou une opportunité pour améliorer les conditions de vie, n’est pas synonyme de rupture ou d’abandon du territoire d’origine, même quand elle est motivée par des causes environnementales. La migration des campagnes vers les villes est observée en tout lieu en relation avec le milieu de départ. En Afrique de l’Ouest, les études montrent que les mouvements de population sont le fait de migrations de travail temporaires et/ou circulaires. Les migrants entretiennent le lien avec leur village d’origine et participent à la sécurité alimentaire et, parfois, au développement d’activités agricoles ou extra-agricoles de leur communauté. L’évaluation de la migration en termes de réussite ou d’échec est une démarche complexe qui réclame de prendre en compte à la fois le projet qui a motivé le déplacement, l’expérience migratoire de la personne et les contextes qui ont prévalu au départ et au retour du migrant. En outre, elle est dynamique, dans la mesure où le projet d’un migrant se reconstruit sans cesse au rythme des déconvenues et des succès qu’il rencontre sur son parcours. Pourtant, de la même façon que les théories économiques néoclassiques affirment que tout retour de migration traduit l’incapacité du migrant à maximiser ses revenus attendus dans
son lieu de destination, les tenants d’une « approche maximaliste » de la théorie des facteurs répulsion/attraction considèrent que les
départs en migration pour des raisons environnementales expriment très souvent un échec de l’adaptation de l’individu et du groupe au changement de leur environnement naturel d’origine. D’ailleurs, ils
utiliseront volontiers le terme de « réfugié » qui ne répond pas à une stratégie d’adaptation. La migration saisonnière, bien que résultant en partie de causes environnementales, peut s’analyser exclusivement en termes d’échec. Les nombreuses études menées sur cette question en Afrique ont montré que cette forme de mobilité répond souvent à une logique collective, dont la finalité est de maintenir l’exploitation
agricole, malgré les contraintes auxquelles elle fait face, et de lui donner les moyens techniques et financiers de se développer davantage.
Le site d’observation de Niakhar au Sénégal fournit une possibilité intéressante d’interroger sur un temps long la relation entre les migrations internes et les changements environnementaux et climatiques à évolution lente (à l’exclusion des désastres naturels soudains). Des observations y sont menées depuis plus de cinquante ans, qui fournissent des informations sur l’évolution des migrations, leur
intensité, leurs formes et leurs causes. L’observatoire de population procède aussi depuis 1982 au relevé des quantités de précipitations journalières et documente depuis une dizaine d’années, grâce à plusieurs enquêtes, les performances agricoles et la sécurité alimentaire des exploitations agricoles. D’un point de vue économique, le territoire de Niakhar, constitué de 30 villages, est dominé par une agriculture pluviale à base de mil et d’arachide. Après une longue
période sèche, qui a duré près de trois décennies (1970-1999), on assiste depuis le début des années 2000 à une remontée des cumuls pluviométriques, avec en particulier une amélioration entre août et la mi-septembre. Dans le même temps, on constate que les trajectoires des exploitations agricoles se sont diversifiées et que leurs performances se sont davantage contrastées. Au regard donc de ce nouveau contexte, le propos de ce chapitre est de voir, dans un premier temps,
si les migrations circulaires de travail sont sensibles aux évolutions pluviométriques récentes et à leur forte variabilité. On propose ensuite d’évaluer l’impact de ces migrations sur l’autosuffisance céréalière des ménages, surtout durant les années de mauvaises récoltes. Enfin, si la migration saisonnière s’avère une réponse
aux aléas climatiques, on tente de montrer que les exploitations agricoles n’utilisent pas toutes ce levier d’ajustement. Au total, le recours massif à la migration saisonnière de travail peut donc être fonction de la survenue d’années sèches et de la trop grande vulnérabilité de certaines exploitations agricoles pour faire face à la crise alimentaire qui s’en est suivie. |
Numéro du document : |
PMB environnement/99 |
Niveau Bibliographique : |
2 |
Bull1 (Theme principale) : |
CONSERVATION DE LA NATURE |
Bull2 (Theme secondaire) : |
CONSERVATION DE LA NATURE-CONSIDERATION GENERALE |
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